dimanche 29 mai 2022

L’embuscade meurtrière de Tikjda, il y a 64 ans

Comme chaque année, nous commémorons aujourd’hui le 64e anniversaire de l’une des actions importantes de l’ALN, en l’occurrence l’embuscade de Tikjda, intervenue le mercredi 28 mai 1958.


Il est à souligner que, tout au long de l’année 1958, partout à travers le territoire de la Wilaya III, les troupes françaises ont subi une offensive de grande ampleur. Cette offensive audacieuse, caractérisée par de nombreuses embuscades et d’enlèvements de postes militaires, s’est soldée par de lourdes pertes infligées à l’ennemi. C’est ainsi que de nombreux prisonniers furent capturés et d’importants lots d’armes et de munitions récupérés. Ces attaques répétées ont permis la récupération d’armes et de munitions, nécessaires pour pallier l’absence d’acheminement d’armes venant de Tunisie. De plus, celles-ci, de fabrication allemande, anglaise et italienne, sont pourvues d’un calibre différent et inadaptable à celles d’origine française et américaine, utilisées par l’armée française.
De ce fait, elles sont rapidement hors d’usage, après l’épuisement de la dotation fournie à chaque djoundi, soit 150 cartouches par fusil. C’est pourquoi l’urgence de les remplacer par celles récupérées sur l’ennemi lors des combats s’impose d’elle-même comme une nécessité vitale, sachant que l’approvisionnement en munitions est un cauchemar que vivent nos combattants.


Ce sont la première compagnie du bataillon de choc de la wilaya et la compagnie de la région 2, zone 2, qui sont chargées de l’embuscade de Tikjda. Celle-ci ayant pour théâtre le site montagneux de la station estivale de Tikjda, située à 35 km au nord-est de Bouira et qui culmine à 1500 m d’altitude. L’adversaire désigné est un détachement de chasseurs alpins. En effet, les 2e et 3e compagnies du 22e Bataillon de chasseurs alpins (BCA) occupent, depuis le début de l’année 1956, les locaux de la colonie de vacances des chemins de fer, transformée en caserne, pour y installer leurs quartiers. Un lieu stratégique pouvant contrôler tout le secteur, notamment le col de Tizi N’kouilal, un lieu de passage séparant les deux versants de la chaîne du Djurdjura et le chemin donnant accès à Tala Guilef, en Haute-Kabylie.
L’itinéraire sinueux, qui sépare le lieu du cantonnement de la ville de Bouira, et la régularité des déplacements du convoi ont inspiré les responsables de la zone 2 pour organiser une embuscade.
En effet, l’observation attentive de ce poste militaire, un point noir dans la région, a montré que, régulièrement, une fois par semaine, un convoi de ravitaillement formé de deux camions GMC, d’une Jeep et de deux half-tracks se rend à Bouira, tôt le matin, pour en revenir dans l’après-midi. C’est là une excellente opportunité pour l’intercepter à un endroit choisi, où il sera le plus exposé et où il présentera moins de risque pour nos combattants.
C’est dans ce cadre que la décision est alors prise d’attaquer le convoi à son retour. Le lieu idéal pour dresser l’embuscade étant repéré, il ne reste plus qu’à mettre au point un plan d’attaque, que le lieutenant Lahlou Hocini, chef du bataillon de choc, et les chefs des compagnies avaient tôt fait d’établir. Le choix est définitivement fixé sur Tighzarthe, pour intercepter le convoi à son retour de Bouira, dans l’après-midi du 28 mai. Il s’agit d’un large talweg, situé à 4 km du cantonnement des chasseurs alpins, séparé en deux par un ruisseau et où la route amorce une pente avant de former un large virage en épingle à cheveux.
C’est ainsi que le matin, avant l’aube, les deux compagnies sont venues s’installer à l’endroit prévu, bien protégées derrière les casemates et les cèdres centenaires. Nos combattants sont installés en tenant compte de la longueur du convoi et de l’écart observé entre les véhicules. Puis, comme pour chaque embuscade, il est prévu le déploiement de deux sections dont la mission essentielle est d’intercepter l’arrivée de renforts éventuels et de protéger le repli de nos combattants.
Le jour venu, vers 7 heures, alors que le soleil est déjà haut dans le ciel, le convoi traverse en toute confiance le lieu de l’embuscade en direction de Bouira, suivi par les yeux grands ouverts de nos djounoud bien abrités, le cœur serré, mais manifestement déterminés à en découdre avec l’ennemi. En attendant patiemment son retour, nos vaillants combattants rongent leur frein et passent en revue les consignes strictes de leur chef.
À mi-chemin, à hauteur du village Aïn Alouane, les deux half-tracks se sont détachés du convoi en se postant pour sécuriser le tronçon de route qui, dans un passé récent, a connu plusieurs attaques. Chacun d’eux est armé d’une mitrailleuse calibre 50 et d’une autre de calibre 30, de fabrication américaine. Après les avoir récupérés dans l’après-midi, le convoi de ravitaillement est remonté vers Tikjda, accompagné par un avion de protection, pour arriver à Tighzarthe aux environs de 17h30. Comme nous sommes en été, le soleil ne se couchera pas avant 21heures, d’où la nécessité absolue de mener l’action rapidement et de décrocher avant l’arrivée des renforts.
Avant d’amorcer le virage, le convoi a marqué un arrêt afin de laisser descendre du camion la section de protection qui va se positionner sur le côté rocheux de la route, tandis que les half-tracks prennent position sur l’arrière du convoi. Un rituel qui se répète à chaque fois. La Jeep du chef du convoi s’est mise alors en tête, avant que le convoi ne redémarre, pour amorcer la descente et entrer dans le virage où l’attendent nos combattants. Soudain, un déluge de feu déchire le silence. Les fusils mitrailleurs et les mitrailleuses entrent en action et visent notamment les véhicules de tête qui prennent feu.
L’assaut est donné et nos djounoud se ruent alors pour récupérer les armes et les munitions, après avoir éliminé leurs détenteurs. Puis très vite, l’ordre de décrocher a permis aux deux compagnies de quitter les lieux, en suivant des itinéraires différents ; l’une en remontant les pentes de Tighounathine en direction d’Iouakoren, l’autre empruntant le ravin de l’oued Tinzert, pour se retrouver, ensuite, au village d’Ighil-Hammad, à une dizaine de kilomètres environ, à l’est du lieu des combats(1).
L’avion chargé de la protection du convoi, un T.6 Morane, n’a rien pu voir sous les cèdres qui bordent la route, mais a quand même mitraillé, à l’aveuglette et à plusieurs reprises, les endroits où nos combattants sont censés se trouver.
Le bilan est lourd. L’ennemi a subi des pertes estimées à plus d’une dizaine de soldats parmi eux le lieutenant Raymond, commandant du détachement, et le médecin aspirant Fèvre. De notre côté, nous avons déploré la mort du lieutenant Lahlou Hocini, chef du bataillon de la wilaya avec six combattants et trois blessés. Au final, des armes sont récupérées, dont 2 fusils mitrailleurs, un Mat 49, une carabine US et une paire de jumelles.
Pour mémoire, Si Lahlou avait remplacé à la tête du bataillon le lieutenant Mohand Ourabah Chaïb, fauché par une rafale tirée par un avion T6, lors de la bataille d’Ouzellaguen, le 28 février 1958, au moment où il se découvrait pour aller récupérer un mortier 50, que l’ennemi avait abandonné dans sa fuite éperdue.
En nous remémorant ces batailles, nous rendons un hommage ému à nos vaillants combattants et à nos glorieux martyrs, tombés au champ d’honneur, pour arracher l’indépendance et la liberté de notre pays des griffes du colonialisme. Pour nous, survivants de cette terrible guerre, c’est un devoir sacré de lutter sans relâche contre l’oubli, en perpétuant les actes héroïques et en glorifiant les sacrifices de nos chouhada. A. A.

(1) C’est dans ce village de M’Zarir que les deux compagnies vont se joindre à la compagnie de la région 4 et faire face, ensemble, au ratissage déclenché par l’ennemi, dès le lendemain de l’embuscade, pour une grande bataille : la bataille d’Iseroual.

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