mardi 29 novembre 2022

Stevan Labudovic : Le cameraman de la révolution

Sur instruction du Président Tito, dont il était le cameraman officiel, il a été chargé par Filmske Novosti, agence yougoslave d’actualités filmées, de se déplacer à la frontière algéro-tunisienne pour y effectuer un reportage sur le combat mené par l’ALN. 


C’est ainsi que Stevan Labudovic se rendit en 1959 à Ghardimaou, en Tunisie, pour une durée de trois jours, afin de réaliser des interviews avec des responsables de l’ALN. Sa rigueur professionnelle, son engagement politique, forgé par l’histoire de son propre pays, et sa profonde probité intellectuelle, ne pouvaient s’accommoder d’un travail superficiel que pouvaient justifier, au demeurant, les conditions difficiles de réalisation d’un tel reportage. Aussi, conscient de sa responsabilité en tant que journaliste, et animé de ses profondes convictions en faveur des peuples qui luttent pour la liberté, Stevan Labudovic, armé de sa seule caméra, n’a pas hésité un seul instant à traverser la frontière, bravant tous les dangers, et à pénétrer dans les zones de combat en Algérie, accompagnant les djounoud de l’ALN dans les opérations qu’ils menaient contre les forces coloniales, au risque de sa vie. Venu en Algérie pour trois jours, en simple reporter, Stevan Labudovic restera trois ans dans notre pays en guerre, partageant les dures conditions de vie des moudjahidine et défiant quotidiennement avec eux tous les risques jusqu’à l’indépendance en 1962 ! C’est grâce à son travail remarquable que nous pouvons revivre aujourd’hui, à travers les images qu’il avait réalisées, une grande partie de l’épopée de nos valeureux combattants, notamment dans la Wilaya I et la Wilaya II. 


Ses images percutantes, rapportées du fonds des maquis, prises dans les conditions réelles de combat, dans le feu de l’action, ont contribué à déconstruire le système de la propagande coloniale et à informer l’opinion publique mondiale sur la réalité de la lutte de libération nationale menée par le peuple algérien. Jusqu’aux derniers jours de sa vie, Labudovic évoquait très souvent, avec beaucoup d’émotion, les moments qu’il avait partagés avec les responsables de l’ALN dans le maquis, se rappelant avec tristesse, les noms de ceux tombés au champ d’honneur. Après l’indépendance, il est resté attaché à l’Algérie où il avait gardé de très forts liens d’amitié avec les responsables de l’ALN qu’il avait connus dans le maquis, notamment les défunts Présidents Houari Boumediène et Chadli Bendjedid, qui ne pouvaient s’empêcher, à chacune de leur visite en Yougoslavie, de s’écarter du protocole officiel, pour aller lui rendre visite dans son modeste appartement de la banlieue de Belgrade. Tout dans cet appartement est marqué par son séjour en Algérie : ses décorations, sa carte de Moudjahid, qu’il arborait avec fierté, l’emblème national, bien visible au milieu d’objets décoratifs de l’artisanat algérien et une multitude de ses photographies sur la lutte de Libération nationale, méticuleusement rangées. A Belgrade, il ne ratait aucune cérémonie de commémoration organisée par l’ambassade, où, instinctivement, il sortait un appareil photo de sa poche, retrouvant le plaisir de son métier et le lien avec l’Algérie.


L’Algérie a été aussi à la croisée de son destin personnel, puisque c’est à Alger, lors d’une visite du Président Tito en Algérie, qu’il avait rencontré son épouse, la brave Ruzica. Elle était hôtesse dans l’avion présidentiel et lui caméraman officiel ! Elle partagera l’amour de son mari pour l’Algérie et l’accompagnera courageusement jusqu’à ce jour fatidique du 25 novembre 2017. C’est dire que le destin de ce grand homme est intimement lié à l’Algérie. Un documentaire lui a été consacré récemment, « The Labudovic réels », réalisé par la cinéaste serbe, Mila Turajlic. Il serait opportun que ce documentaire soit largement diffusé dans notre pays afin de faire découvrir cet homme et son œuvre à la jeunesse algérienne. Il est vrai que son engagement aux côtés de notre pays lui vaudra la reconnaissance de l’Algérie et sera décoré, en 2012, de la médaille du Mérite, à l’occasion du 50e anniversaire de l’indépendance. Il est vrai aussi que sa caméra est exposée au musée du Moudjahid, mais il faut dire que cet homme reste méconnu du grand public algérien. Le cinquième anniversaire de sa disparition est une occasion pour lui rendre un vibrant hommage. Il serait légitime que le nom de Stevan Labudovic soit immortalisé par le baptême d’une rue, une place ou une stèle et inscrire ainsi, à jamais, son nom dans l’histoire de notre pays, ce pays qu’il avait tant aimé.

* Abdelhamid Chebchoub. Ancien ambassadeur d’Algérie à Belgrade

Stevan Labudovic est né le 28 décembre 1926, à Berane au Monténégro dans la famille du libraire de renom de cette ville Milutin Labudovic. Scolarisé dans sa ville natale, il décide, à 17 ans, de quitter son enseignement secondaire au lycée de Berane pour s’engager dans les rangs de l’Armée yougoslave en 1943. Démobilisé, à sa demande en 1945, il reprend ses études et décroche son baccalauréat à Smederevska Palanka (en Serbie) deux ans plus tard. Il s’inscrit d’abord à la faculté de Droit de l’université de Belgrade mais sa passion de longue date pour la photo, le réoriente rapidement vers les études de cinéma qu’il poursuit à la Haute Ecole de Cinéma de Belgrade. A la sortie de cette école, il est recruté en qualité de caméraman par « Filmske Novosti » société de production cinématographique à laquelle il restera fidèle jusqu’à sa retraite en 1988. Labudovic est devenu rapidement un maitre du métier, grâce, entre autres, à son expérience de longue date en matière de photographie. Il était correspondant de « Filmske Novosti » en Slovénie pendant quatre ans (1956-1960) d’où il avait couvert les tensions dans la région provoquées par la crise de Trieste. 

Photographe attitré de Tito, il a accompagné ce dernier dans ses déplacements lors du voyage dit de la Paix (février-avril 1961) qui l’a conduit en Birmanie, en Inde, en Indonésie, en Egypte, en Grande-Bretagne, en Ethiopie, aux Etats-Unis, au Canada… Stevan Labudovic a filmé des personnalités importantes et des évènements qui avaient marqués l’ex-Yougoslavie. Il a suivi les travaux de plusieurs conférences et sessions de l’ONU à New York, les conférences des Pays non-alignés ainsi que les rencontres bilatérales entre les hommes d’Etat yougoslaves et leurs homologues étrangers. Sur les instructions de Tito, Labudovic part en Algérie en 1959, pour y réaliser, dans le cadre d’une mission prévue initialement pour une période de deux mois, des reportages sur la lutte du peuple algérien. Il y restera jusqu’à la victoire du peuple algérien, en juillet 1962. Pendant ces années de son engagement professionnel et révolutionnaire aux côtés de l’ALN, qu’il a suivie dans le maquis, Labudovic a filmé 83 kilomètres de pellicule et a réalisé 27 films et 274 photos. Ses films et ses reportages, ont eu des prix à de nombreux festivals nationaux et internationaux. Pour son engagement aux côtés du peuple algérien, Stevan Labudovic a été décoré de la Médaille du Mérite national par le Président de la République en 2012 à l’occasion du 50e anniversaire du recouvrement de l’indépendance nationale. En février 2017, à l’occasion de la Fête Nationale de Serbie, l’ancien Président de la République de Serbie, Tomislav Nikolic, a décerné à Stevan Labudovic la médaille d’argent pour les mérites dans le domaine de la culture et des activités publiques, Par ailleurs, les autorités municipales de sa ville natale de Berane lui ont décerné le prix du « 21 Juillet » en 2016. Cette même année, la municipalité de Rakovica à Belgrade, lieu de sa résidence depuis plus de 50 ans, lui a décerné de la plus grande distinction municipale. Stevan Labudovic est décédé à l’âge de 91 ans le 25 novembre 2017 à Belgrade.

(Biographie élaborée par l’ambassade d’Algérie à Belgrade en 2017)

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