vendredi 16 décembre 2022

Krim Belkacem aurait eu 100 ans aujourd’hui Le fabuleux destin du Lion des djebels

Une aventure humaine exaltante unique, d’un révolutionnaire d’exception qui a pris le maquis sept ans avant le déclenchement de la révolution du 1er Novembre 1954.


Krim Belkacem aurait eu 100 ans aujourd'hui. Il est né le 15 décembre 1922 à Ath Yahia Moussa, dans la wilaya de Tizi Ouzou. Son nom demeurera étroitement lié aux négociations d'Évian. Il apposera sa signature au bas du parchemin des accords qui en découleront. Ils mettront fin à plus de sept ans de guerre féroce, d'une répression sauvage, que le peuple algérien sentira dans sa chair. Ils signeront la fin du mythe de l'Algérie française, d'un système colonial barbare qui a réduit l'Algérien à l'état d'indigène durant plus d'un siècle. Un combat, une trajectoire, un processus, une aventure humaine exaltante qui jalonneront le parcours révolutionnaire exceptionnel d'un homme extraordinaire qui a pris le maquis sept ans avant le déclenchement de la révolution du 1er Novembre 1954 et qu'il accompagnera jusqu'à la signature des accords d'Évian qui ont mis fin à 132 ans de colonisation. Un événement qui remonte au 19 mars 1962: une date majeure dans la jeune histoire de l'Algérie indépendante. Elle vient nous rappeler le dur combat et le long chemin qui l'ont conduite à l'indépendance. C'est dans ce contexte particulier que l'Algérie a célébré le 60 ème anniversaire des accords d'Évian. Un legs, un héritage précieux dont le prix n'a d'égal que les sacrifices, le don de soi de femmes et d'hommes, jeunes, d'exception, pour une patrie martyrisée. Un modèle pour ceux qui ambitionnent, aujourd'hui, de construire cette Algérie nouvelle, celle dont la trajectoire a été déviée.

Une référence
Le nom de Krim Belkacem demeure à ce titre une référence et reste intimement lié à cette Algérie une et indivisible dont ont rêvé ses compagnons d'armes et lui. Retour sur des tractations qui auront duré près d'une année. Il sera question de mettre fin à une colonisation féroce qui a duré plus de 130 ans. Krim est à la tête de la délégation qui va négocier l'indépendance de l'Algérie, secondé par des hommes qui feront briller de mille feux une diplomatie née dans les maquis. Les pourparlers peuvent commencer, mais sans témoin(s). Que veut-on cacher au monde? Cette plaie béante qui s´appelle Algérie, solidement accrochée et tatouée au fronton de la patrie des droits de l´homme? Ou bien, tout simplement, le désir farouche d´indépendance d´une poignée de jeunes Algériens, emmenés par celui que l´on surnomma «Le Lion des djebels»? À ce moment-là, personne ne savait que le sort du mythe de l´Algérie française serait définitivement scellé le 18 mars 1962 à l'hôtel du Parc, à Évian-les-Bains (en Haute-Savoie, France). L´homme qui préside la délégation algérienne est entouré de compagnons de lutte, jeunes et brillants. Krim Belkacem et son équipe, composée de Mohamed Seddik Benyahia, Rédha Malek, Tayeb Boulahrouf, Ahmed Boumendjel, Saâd Dahlab, Ahmed Francis, M'hamed Yazid...ne cèderont pas un pouce.
Krim Belkacem annonce la couleur. Il ne fera aucune concession. Comme à la première heure. Celle où il a décidé de se donner corps et âme pour l'indépendance de cette terre qui l'a vu naître.

Pour l'éternité
C'est dans cette lignée que s'inscrit le parcours de Krim Belkacem. Celui d´un homme qui aura tenu le maquis près de 10 ans avant le déclenchement de la Guerre de Libération nationale, le 1er Novembre 1954. Né à Draâ El Mizan un 15 décembre 1922, il fréquenta l'école Sarrouy à Alger où il décrocha son certificat d'études primaires. Une performance pour un musulman, à l'époque. Il est animé très tôt d'idées révolutionnaires. Dès 1945, il adhère au Parti du peuple algérien, le PPA. En 1947, il est convaincu que seules la révolution, la lutte armée peuvent mener à la liberté. Dès lors, il prendra le maquis où il organise et forme des groupes militaires. Il sera en avance de sept années sur le 1er Novembre 1954. Un chiffre prémonitoire: la lutte de libération durera sept ans. Il dominera le FLN-ALN en 1958-1959 en tant que ministre de la Guerre. Il sera à la tête du ministère des Affaires étrangères et de celui de l'Intérieur au sein du Gpra, le Gouvernement provisoire de la République algérienne, entre 1960 et 1961. Il aura incarné, à lui seul, toutes les fièvres et les soubresauts qui auront jalonné le Mouvement de Libération nationale, et particulièrement l´une de ses étapes les plus cruciales, la fin du PPA-Mtld et la chute de son chef historique, Messali Hadj. Héros de la Guerre de Libération nationale. Krim Belkacem symbolise, à plus d'un titre, l´un des plus fabuleux combats menés par un révolutionnaire algérien contre le colonialisme français et l'impérialisme, pour la liberté des peuples à disposer d'eux-mêmes... La date du 19 mars 1962 couronnera cet objectif et restera intimement liée au nom de Krim Belkacem. Pour l'éternité. Un fabuleux destin brisé le 18 octobre 1970. Il sera assassiné dans une chambre d'hôtel à Francfort, en Allemagne.

Un nom qui se confond avec l'Algérie
«C'est le seul des chefs historiques qui avait échappé à toute arrestation de l'ennemi et survécu à toutes les épreuves, depuis sa clandestinité des années 1940 en passant par la guerre de Libération nationale jusqu'à l'indépendance en 1962.»


Évoquer le rôle patriotique de Krim Belkacem, l'un des principaux architectes de la guerre de Libération nationale algérienne, c'est parler d'un mythe de la guerre d'Algérie. Son nom est intimement associé aux plus grands événements de l'histoire de cette guerre de libération.
Krim Belkacem en a donné coup de starter qui amènera l'indépendance de l'Algérie. Pourtant, dans les annales de l'Histoire, sa vie semble s'être arrêtée à l'Indépendance, aux accords d'Évian. Que dire de lui en tant qu'Homme? Qu'il était, dès son jeune âge, un militant de terrain, honnête, fermement engagé, responsable et intransigeant. Il faisait partie de ceux qui sont passés de l'action armée à l'action politique dans la lutte pour l'Indépendance. «Le nom de Krim Belkacem se confond avec celui de l'Algérie de 1950 jusqu'à l'Indépendance en 1962. C'est le seul des chefs historiques qui avait échappé à toute arrestation et survécu à toutes les épreuves, depuis sa clandestinité durant les années 40, puis la guerre de libération jusqu'à l'indépendance en 1962», relatait avec un immense respect le défunt Mohamed Mechati, membre du Groupe des 22: comité révolutionnaire d'unité et d'action (Crua), à l'origine de la révolution.

Né au pied du Djurdjura un certain 15 décembre 1922, en Kabylie, dans une famille de caïds, comme ce fut le cas de plusieurs chefs historiques de la révolution, Krim Belkacem muni d'un certificat d'études rejoignit l'armée française le 1er juillet 1943, soit 30 jours après que le général de Gaulle soit triomphalement rentré à Alger, délivré enfin de la tutelle des alliés. Dix années plus tard, Krim Belkacem et le général de Gaulle s'affronteront: l'un partisan de l'Algérie libre et indépendante, l'autre partisan de l'Algérie française. Incorporé à l'armée française, Krim devient un excellent tireur.

Le 26 novembre 1944, il fut nommé caporal-chef au 1er régiment de tirailleurs algériens engagés pour libérer la France. Démobilisé le 4 octobre 1945, Krim Belkacem regagna sa terre natale où il occupa le poste de secrétaire auxiliaire de la commune, un poste qui, en général, n'était pas occupé par un indigène. Il ne tardera pas d'ailleurs à abandonner ce poste, ses avantages et ses privilèges. Car le sang des hommes libres qui coulait dans les veines de Krim l'appela à la guerre contre l'envahisseur. C'est de ce genre d'homme que l'illustre intellectuel franco-algérien Jean Mouhouv-Amrouche parlera dans son oeuvre magistrale Le réveil de Jugurtha.

Son destin basculera le 23 mars 1947
Krim Belkacem embrassa le Mouvement national dès son jeune âge et adhéra au Parti du peuple algérien (PPA), en 1946. Toutefois, son destin basculera le 23 mars 1947 quand les autorités coloniales l'accuseront «d'atteinte à la souveraineté de l'État». En 1947 et 1950, il fut jugé pour différents meurtres et condamné à mort par contumace. À partir de cette date, Krim luttera contre le colonialisme français, en fondant et en organisant les premiers foyers de résistance armée dans la périphérie de sa région natale à Draâ El Mizan, en Kabylie.

Tout au long de son combat, Krim Belkacem avait su passer à travers les mailles du filet colonial, soit de 1947 à 1962. Son destin est émaillé d'évènements marquant l'Algérie combattante.

Les Français n'avaient pas tort de le surnommer «le lion des Djebels». Le commandant de la Wilaya IV historique, Lakhdar Bouregaaâ proche de lui, témoignait: «Krim était un lion, il a ce regard fixe, sans le moindre mouvement des cils. Il inspire le respect, la dévotion, mais aussi la peur et la captivité.» Et d'ajouter: «Croiser le regard de Krim est une interpellation à l'ordre, voilà un chef.» Ceux qui l'ont connu certifient: «Krim est un noble comme l'indique son nom en arabe, il était le véritable patron, un grand chef de la révolution. Son nom, connu et reconnu, est respecté à travers les quatre coins de l'Algérie, mais aussi au-delà des frontières.» Pour anecdote, l'un des anciens de la Fédération FLN de France, Tahar Tinouiline, se rappelle que le premier président du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) lui confia au lendemain de l'Indépendance que: «C'était Krim Belkacem qui m'avait recruté dans le Front de Libération nationale (FLN). Il était mon véritable chef, et il le restera pour toujours quoi qu'il advienne». Et de conclure: «Il fallait connaître Krim: il inspirait confiance et assurance auprès des maquisards. C'était grâce à lui que le congrès de la Soummam s'est tenu, avec une totale réussite sur tous les plans et tout le reste.»
Condamné et recherché par l'armée française, Krim Belkacem rejoignit le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (PPA-MTLD) en 1947. Il sera nommé en 1949, chef de l'Organisation spéciale (OS), bras armé du MTLD, pour toute la Kabylie, futur bastion du FLN. À la veille de la révolution, il disposait d'au moins 500 hommes armés et avait comme collaborateur Amar Ouamrane, un militaire aguerri et un grand baroudeur qui deviendra un colonel de l'Armée de Libération nationale (ALN). Krim Belkacem rompit au mois d'août 1954 avec le MTLD de Messali El-Hadj, à la suite de la décision de ce dernier d'interdire le passage à l'action armée pour le recouvrement de l'indépendance du peuple algérien. Il décida du déclenchement de la guerre de libération, le 1er novembre 1954. Il déclara la guerre à Messali El-Hadj quand les troupes armées aux ordres de celui-ci se mirent du côté de la France en travers du chemin du FLN et de l'ALN.

Les chefs historiques, pauvres en armes et en soldats, ne pouvaient décider du déclenchement du 1er novembre 1954 sans les troupes de Krim Belkacem. Il occupait le maquis avec ses hommes, ayant pris les armes contre la France depuis 1947. Sur le plan militaire, aucun des chefs historiques n'était aussi bien préparé que Krim Belkacem à une action armée et globale contre la France. Il était à la tête de plus de 500 soldats à ses ordres, armés et prêts au combat. À l'approche de l'ouverture des hostilités, le groupe des Six, déterminés «pour la révolution illimitée jusqu'à l'indépendance totale» sollicita Krim Belkacem et le nomma ainsi qu'Amar Ouamrane, responsables de la zone de Kabylie sur les cinq zones composant le territoire algérien. Les autres zones avaient été réparties ainsi: Larbi Ben M'hidi pour la 5e zone, l'Oranie, Didouche Mourad pour la 2e zone, le Nord-Constantinois, Mostefa Ben Boulaïd pour la 1ère zone, les Aurès et Rabah Bitat pour la 4e zone, Alger et l'Algérois.

Krim et Abane: un duo infernal
L'objectif principal du mouvement du groupe des Six était de déclencher la lutte armée à la fin de l'année 1954. Le 10 octobre le CRUA prit le nom de FLN. L'action se concrétisA le 1er novembre 1954 par une série d'actions coordonnées. Et désormais, l'Appel du 1er novembre fut connu et compris de tous. La guerre de Libération commença alors, à travers le territoire national et le peuple adhéra aux mots d'ordre du Front de Libération nationale. Alger, la capitale, sera également celle de l'état-major de la Révolution algérienne.

Krim et Abane constituaient un duo fatal qui a marqué le destin de l'Algérie combattante. Ils faisaient trembler la France coloniale. Les deux hommes se sont rencontrés, pense-t-on, uniquement pour libérer l'Algérie du colonialisme français. C'est aussi le même destin qu'ils partageaient avec la plupart des autres acteurs de la guerre de libération. Toutefois, la rencontre de Krim et d'Abane avait bouleversé le cours de l'Histoire. L'un est un chef militaire aguerri alors que l'autre est un politique avisé. Une complémentarité des plus rares. Les deux hommes avaient fait leurs classes au sein du Mouvement national et l'OS. Ils pouvaient se faire confiance l'un, l'autre, même s'ils se sont rencontrés pour la première fois, quelques mois après le déclenchement du 1er novembre 54. Cela expliquera leur alliance scellée dès leur première rencontre. Le commandant Lakhdar Bouregaâ assurait: «J'ai connu les deux. C'était à Alger que Krim et Abane se sont rencontrés, suite à la médiation d'Amar Ouamrane. Ils avaient longuement échangé leurs points de vue sur l'état des lieux de la Révolution et ses perspectives. La complémentarité entre les deux était évidente», témoignait le défunt Bouregaâ, soulignant que c'était lors de cette première rencontre qu'un contrat a été scellé jusqu'à la mort pour libérer l'Algérie. «L'un comptait sur l'autre en dépit de leurs différences», a ajouté le commandant Bouregaâ. Il se rappelait également: «Krim et Abane, dès leur rencontre à Alger ont leurs destins liés jusqu'à la mort», affirmait pour sa part le défunt Ali Yahia Abdenour.

À Alger, Krim et Abane sont devenus très proches. Krim, prenant Abane comme conseiller politique, lui ouvrira grandes les portes de la révolution et l'adoubera auprès des différents acteurs de celle-ci. Compétent, instruit, politisé et appuyé par Krim, Abane ne tardera pas à être considéré comme un chef incontestable, gagnant le surnom d'architecte de la révolution une année plus tard. Abane, avec l'appui de Krim Belkacem, prend en charge la direction politique de la capitale. Son appel du 1er avril 1955 à l'union et à l'engagement du peuple algérien signe l'acte de naissance d'un véritable Front de Libération et son émergence en tant que Mouvement national. Il y affirme son credo unitaire, «la libération de l'Algérie sera l'oeuvre de tous».

3500 moudjahidine sur le terrain
Les deux hommes ont su regrouper et unir au sein du FLN l'ensemble des courants politiques pour lutter contre la domination française. Appuyé par Krim, témoignait l'ancien commandant de la Wilaya IV historique: «Abane obtient une grande influence dans la direction intérieure installée à Alger.»

Chargé des questions d'animation de la révolution au niveau national en assurant la coordination inter wilayas, il anime également la liaison avec la Délégation extérieure du FLN établie au Caire, les Fédérations de France, de la Tunisie et du Maroc. Il a ainsi la haute main sur toutes les grandes questions d'ordre interne et international. Ensemble, ils réalisent le grand chantier de la révolution lors du congrès de la Soummam, le 20 août 1956 en Kabylie». Et d'assurer: «On ne peut pas d'ailleurs imaginer un instant la tenue d'un congrès aussi important dans l'histoire de la guerre de libération, d'autant plus en Kabylie, sans la vaillance et l'assurance de son premier chef, Krim Belkacem». Il était en effet à la tête de 3 500 moudjahid sur le terrain, le coeur battant de la révolution et tous les chefs historiques lui vouaient un grand respect et une profonde amitié.

L'organisation du congrès de la Soummam dépasse les différents acteurs dépêchés grâce au tandem Krim et Abane: l'un sur le plan sécuritaire et organisationnel, l'autre sur le plan politique et stratégique. Les deux faisaient partie de l'instance suprême de la révolution mise en place au lendemain de ce congrès, le Comité de coordination et d'exécution (CCE). Chargé de coordonner la révolution et d'exécuter les directives du CNRA, il était composé de Krim Belkacem, Abane Ramdane, Larbi Ben M'hidi, Benyoucef Ben Khedda et Saâd Dahlab. Krim Belkacem étant le seul militaire des chefs du CCE, il se retrouva chef d'état-major de l'armée de l'ALN et le stratège de la lutte armée. Il s'établira à Alger et sera chargé de former et d'organiser la Zone autonome d'Alger car c'est lui qui assurera les liaisons entre toutes les wilayas. En effet, le principe fondamental de «la primauté du civil sur le militaire», arrêté lors du congrès de la Soummam est appliqué ainsi que celui de «la primauté de l'intérieur sur l'extérieur». C'était la guerre en Algérie, certains des chefs influents de la révolution se retrouvaient à l'étranger, en prison ou étaient tombés au champ d'honneur. Quant au rôle de Krim pour imposer aux différentes délégations présentes les principes définis plus haut, Tahar Tinouiline interroge: «Pensez-vous que quelqu'un aurait pu contraindre Abdelhafid Boussouf, Lakhdar Bentobal et consorts d'accepter de signer tels principes à part Krim Belkacem?»

Aucun commentaire: