dimanche 18 décembre 2022

L’imam Mohamed Ibn Abdelkrim El Maghili

Zaouit Cherikh. Un lieu-dit dans la commune de Zouiet Kountra, dans la wilaya d’Adrar. Un lieu qui «évoque l’Histoire sans la questionner et lorsque, d’aventure, l’interpelle, sa réponse nous parvient, mais ses mots, ballottés par le khamsin, ne sont que des bribes». C’est là, dans ce coin pittoresque de notre féerique désert, que se trouve la tombe de l’imam Mohamed Ibn Abdelkrim El Maghili, gardant jalousement, comme un secret inviolable, l’histoire ô combien brillante de cet habile guerrier et homme de foi, une histoire que les jeunes ne connaissent pas, malheureusement, mais «que les maisons de toub ocre se murmurent quand se lève le vent de sable».


El Maghili, cet enfant de Tlemcen, a été un savant réformiste qui a vécu au temps d’Ibn Taïmiya, il a été aussi cet homme illustre dans l’œuvre peut être considérée comme un élément important dans l’unité de l’Afrique et un pas vers l’unité islamique globale. Il disait, concernant ce dernier point, car convaincu, «que seul l’attachement à l’Islam, au Coran et à la Sunna est à même d’assurer l’unité de l’ensemble des musulmans».

El Maghili Cheikh El Islam
L’imam El Maghili est né à Tlemcen, une ancienne capitale et un des foyers de civilisation, à l’image de Béjaïa, Constantine ou Tihert qui ont enfanté d’éminents savants immortalisés par l’Histoire à travers leurs œuvres et leurs exploits. Il a vu le jour en l’an 790 de l’Hégire, 1425 ap. J.-C et, très jeune, ses parents, d’une haute lignée, lui apprirent les bonnes manières et lui donnèrent la meilleure éducation. Effectivement, sa famille est d’une certaine noblesse de par ses savants, ses érudits et ses combattants qui ont toujours mené la lutte pour les valeurs de l’Islam.

Le jeune Mohamed Ibn Abdelkrim a été le 20e (vingtième) savant de la lignée des Maghili qui commence par Llyes El Maghili (aux environs des années 50 de l’Hégire, VIIe siècle ap. J.-C.), ce Berbère qui entra en Andalousie, en compagnie de Tarek Ibn Ziyad.

Il commença par le Coran et, à partir de son adolescence, se pencha sur les ouvrages de référence de son époque. Il apprit le Livre Saint chez Sid-Ahmed Ibn Aïssa El Maghili El Tilimçani, plus connu sous le nom de Jellab, qui l’a initié également à la jurisprudence musulmane en lui inculquant les riches sentences de Khalil et Ibn El Hadjib et les meilleurs extraits des livres d’Ibn Younes. Il fut par la suite l’élève de Yahia Ibn Yadir et grandit chez Abou El Abbès El Oughlissi à Béjaïa chez qui il séjourna longtemps, dans l’espoir d’acquérir d’autres connaissances. Ce dernier l’a beaucoup aidé dans sa formation en lui prodiguant d’énormes horizons, notamment en lui ouvrant la porte de l’école de l’imam Malik Ibn Anès et de nombreuses autres sommités du monde de la science.

La culture n’a pas de limites, comme disent les savants. Le jeune El Maghili était contraint de se déplacer chez un autre érudit, le saint homme, célèbre patron d’Alger, Abderrahmane Etha’alibi, pour découvrir la logique. Là, chez ce maître incontesté de son époque, il eut le privilège d’apprendre les principes du fiq’h, d’être orienté vers le çoufisme, de renforcer ses connaissances pour devenir un savant musulman de talent et enfin d’épouser sa fille : une bien bonne gratitude pour l’exceptionnel disciple et l’imam de renom qu’il fut, après ses laborieuses études.

L’iman El Maghili a vécu une période qui a connu de nombreuses sommités algériennes dans le cadre de la culture et des sciences islamiques, notamment des jurisconsultes, des réformateurs, des exégètes, des écrivains, des poètes et des historiens. Ceux-là l’ont côtoyé pour la plupart et reconnu — comme d’autres d’ailleurs qui sont venus bien après lui — sa valeur dans les domaines de la recherche, du mysticisme et l’exégèse du Coran et du Hadith. Parmi eux, qui ont vécu le IXe et le début du Xe siècle de l’Hégire, nous citons le docte Kacem Ibn Saïd Ibn Mohamed El Okbani, mort en 837 H, le docte Mohamed Ibn Ahmed Ibn Merzouq, mort en 842 H., le grand çoufi Ibrahim El Tazi, mort en 866 H., le docte et jurisconsulte Mohamed Ibn Yahia El Tilimçani, plus connu sous le nom d’El Habek, mort en 867 H., le grand récitant du Coran Mohamed Ibn Abdel Jalil Ettensi, mort en 889 H., le docte Mohamed Ibn Abou El Kacem Ibn Mohamed Ibn Abdessamad El Mechdali, le docte locuteur adepte d’El Ach’ari Mohamed IbnYoucef Ibn Amr Ibn Choeïb Es Senoussi, mort en 895 H., le docte Ahmed Ibn Zekri El Tilimçani, mort en 899 H., Ibn Merzouq El Kafif (l’aveugle), mort en 901 H. et le docte Ahmed Ibn Yahia El Ouancharissi, mort en 914 H.

El Maghili, le réformateur salafiste, a milité pour la même école qu’Ibn Taïmiya, le grand savant arabe. Les deux ont également vécu à la même période, dans deux pays différents, séparés hélas par une grande distance et, tout naturellement— les découvertes scientifiques n’ayant pas atteint le stade de la modernité — par l’absence de moyens de communication. Cependant, comme El Maghili a eu des contacts avec El Souyouti, on peut imaginer qu’il aurait eu des rencontres, ou à tout le moins quelques correspondances, avec Ibn Taïmiya. Amar Hellal répond dans son article du journal El Moudjahid du 20-6-1985 : «Dans les ouvrages algériens qui ont trait aux sciences musulmanes : fiqh, tafsir, hadith, etc., du XVe siècle, y trouve-t-on une quelconque allusion à Ibn Taïmiya, ou à ses travaux ? Il n’est pas facile de répondre aisément à cette question. Mais ce qui nous laisse croire surtout qu’El Maghili n’a pas pris connaissance, ni d’une façon ni d’une autre, de la doctrine d’Ibn Taïmiya, est le fait qu’il s’est exilé au centre du Sahara algérien où les communications, en ce temps-là, avec le monde extérieur étaient des plus difficiles.»

Cependant, des bribes d’informations, nous parvenant de cette vaste région du Moyen-Orient, nous laissent croire qu’Ibn Taïmiya aurait tellement souhaité connaître Ibn Abdelkrim El Maghili parce qu’il avait entendu beaucoup de bien le concernant. Les savants arabes disaient que sa science et son érudition avaient dépassé les frontières de son pays, l’Algérie, et celles du Maghreb.

L’essentiel, c’est que l’un et l’autre ont fait leur travail de grands fervents de l’Islam, même s’ils ne se sont pas rencontrés. L’essentiel également, c’est que le message qu’ils devaient transmettre était bien passé chez ceux qu’ils voulaient gagner, pour en faire de bons croyants.

C’est dans cette ambiance de culture et de foi qu’a vécu le savant et fin politique El Maghili. Il s’est abreuvé à une merveilleuse source, de son délicieux nectar, et en a été grandement marqué. C’est ainsi qu’a vécu ce brillant homme de piété et de justice, cet infatigable patriote et habile homme d’État.

L’imam combattant
Excédé par le comportement des sultans de l’époque qui régentaient le royaume de Tlemcen, indigné par leurs agissements et surtout par leur façon de traiter leurs sujets, touché également par le silence — ou la complaisance — des érudits et des hommes de science, l’imam a émigré dans la région du Touat (l'actuelle wilaya d’Adrar). Il reprochait à ceux-là «de ne pas se conformer, ni dans leur vie privée ni dans leur façon de gouverner, aux règles de l’Islam».

À Tamantit, Assamelal, Aoulef, Zaouiet Kounta et Fenoughil, des noms qui évoquent l’Histoire sans la questionner...— car cette Histoire est avare, comme la terre qui témoigne de son déroulement, et ne donne qu’avec parcimonie ces lambeaux que nous reconstituons pour lire dans notre passé —, l’imam n’a pu trouver dans cette région des ksour du Touat et du Gourara, sa nouvelle terre d’accueil, toute la quiétude dont il avait besoin pour mener à bien sa mission de prédicateur d’un ordre nouveau. L’universitaire algérien Amar Hellal le confirme dans un de ses écrits, en expliquant que, loin de Tlemcen, dans le sud, El Maghili croyait trouver au sein de la tribu arabe des Ouled Saïd la satisfaction morale. Au bout d’un certain temps, la vie paisible qu’il menait dans le Touat a été troublée brusquement lorsqu’il découvrit les méfaits des Juifs, les pressions que ces derniers avaient sur les gouverneurs de la région et leur influence sur leur politique. D’après El Maghili, c’étaient les Juifs qui dictaient à ces derniers la conduite à suivre. Effectivement, ils avaient une influence religieuse considérable.

De nombreux temples ont été construits par eux, cela n’était pas considéré comme une transgression de la loi par El Maghili, loin s’en faut, cet homme de religion a enseigné la tolérance et le respect des croyances des autres. Cependant, ce qui l’exaspérait, c’est qu’ils détenaient tous les pouvoirs et certains poussaient le ridicule jusqu’à se faire passer pour des imams, allant jusqu’à officier dans les mosquées. De plus, disait B. Amazit, dans un écrit rapporté par le journal El Moudjahid, «ces derniers, installés depuis longtemps dans la région, détenaient tout le pouvoir économique, car ils auraient possédé tout le trésor du Sahara, à savoir l’eau».

Sont-ce ces raisons qui ont poussé cet honorable cheikh à lancer une véritable guerre sainte contre les juifs ? se demandait ce même journaliste.

En effet, ce que nous savons, c’est que les Juifs d’alors transgressaient la loi musulmane et profanaient sa justice. El Maghili leur a livré un combat sans merci pour mettre un terme définitif à leurs exactions et à leur influence sur les gouverneurs de la région. Il les a traqués et a polémiqué avec tous ceux qui s’étaient dressés contre lui, y compris les hommes de foi car, il faut le dire, pour l’Histoire, que certains parmi les savants de Fès ont montré de la réticence à cette lutte au moment où plusieurs lui ont donné raison dont le chef de la communauté des imams Abou Abdallah Ibn El Ghazi qui s’était même permis de lui rédiger une postface, fort intéressante, à la fin de son ouvrage — nous en prendrons connaissance après —, pour appuyer sa démarche contre les Juifs. De même qu’El Maghili, parce qu’honnête dans ses propos et ses agissements, n’a pas épargné, dans son sursaut, les musulmans qui ont montré un tant soit peu de complaisance avec les Juifs et se sont accommodés de cette situation comme si ceux-là étaient des leurs.

Ainsi, à travers cette lutte, l’homme de foi et le combattant savait que «les guerres de religion étant choses banales en ces âges farouches où les cultures s’affrontaient à grands tournoiements des cimeterres», mais voulait également entrevoir «une unité menacée par des diktats de seigneurie».

«Imam el-mûslimine» en Empire de Songhaï
Pèlerin infatigable, Cheikh El Maghili a poussé ses investigations jusqu’en Afrique occidentale pour porter très haut la voix de la raison et, bien sûr, de la logique dont il était un fervent adepte. À vrai dire, il a été convoité, à cause de sa réputation dans le Touat, par les sultans de l’Empire de Songhaï, cet Empire soudanais lié à la vallée du Niger qui s’était caractérisé par une riche culture pour atteindre son apogée au XVe siècle de l’ère chrétienne.

Ce voyage pour l’expansion de l’Islam aux confins de l’Afrique lui était facilité par le fait qu’entre Tlemcen et les lointaines régions du sud existaient déjà de grandes relations commerciales. La route était bien connue par les nombreuses caravanes qui sillonnaient cette importante parcelle du continent africain. El Maghili allait prendre autre chose de plus important dans sa calebasse : des idées qu’il devait semer et qui seront reprises durant des siècles.

À ce propos, des recherches historiques ont été réalisées sur son influence au Mali, après la création du centre Ahmed-Baba en 1973, un centre qui recèle de nombreux manuscrits sur son œuvre. De plus, ses correspondances à caractère politique et sa vision en terme de droit musulman, envoyées à l’émir de Gao, ont été publiées à la Sned en 1968. Enfin, son œuvre a fait l’objet de thèses de PHD à l’Université de Londres par le Nigérian Hassan Ghawrso, par le Professeur de chaire au Ghana et l’Anglais John Honek, devenu président du Centre d’études africaines au N. Western aux USA.

La terre du Soudan — c’est ainsi qu’on appelait l’Afrique subsaharienne — était la première station à travers laquelle il devait commencer sa prédication. Ainsi, dans ces rudes contrées, il allait développer de grands efforts de persuasion en travaillant durement pour recruter de nombreux disciples qui venaient souvent de régions parfois lointaines pour s’instruire auprès de lui. Le premier à embrasser I’lslam a été le sultan de Tombouctou, ensuite d’autres, parmi les plus importantes figures de l’Empire, ce qui a donné beaucoup de considération et créé une attention particulière à l’endroit de la nouvelle religion qui venait de connaître un tournant décisif dans ces régions jusque-là non touchées par l’expansion islamique.

Cependant, malgré cet intérêt grandissant, El Maghili allait trouver devant lui, dans l’Empire de Songhaï, quelques réticences que traduisaient des obstacles qui étaient limités «au chauvinisme de certains chefs de confréries religieuses qui, d’ailleurs, comprirent très vite qu’il n’était pas de leur intérêt de l’affronter. De son côté, El Maghili évitait de leur livrer bataille sans pour autant renoncer à prêcher les réformes sociales et religieuses des sociétés musulmanes en Afrique».

Ses voyages l’ont poussé jusqu’à traverser l’Aïr, le massif montagneux du Sahara méridional, pour enfin arriver à Kano et séjourner dans cet important émirat de l’Empire des Haoussa, dans le nord du Nigeria, où le sultan Mohamed Rumfa — qui était déjà l’un de ses correspondants — en a fait son homme de confiance et son conseiller particulier.

Profitant de cette sollicitude du souverain de Kano et de son entière disponibilité quant à la refonte des structures, l’imam El Maghili a entamé de nombreuses réformes dans les cadres religieux, administratif et politique. C’est ainsi que furent créés le trésor public, plusieurs tribunaux et le Conseil consultatif, des structures qui allaient être décentralisées par la suite et installées dans la plupart des circonscriptions de l’Empire des Haoussa et même un peu plus loin, dans les États du Congo qui étaient placés sous la tutelle du Nigeria. Plus tard, du temps de l’occupation de ces régions par le colonialisme britannique, les nouveaux locataires ont agréé tout ce qu’avait laissé Cheikh El Maghili, avec de légères modifications pour être en conformité avec leur politique.

Après ce séjour à Kano dont il est difficile de déterminer avec exactitude la durée, faute de documents, il s’était déplacé à Gao pour vivre aux côtés de l’Askya El Hadj Mohamed Ibn Abou Bakr El Kebir, le sultan, un grand lettré musulman qui n’a pas mis beaucoup de temps pour découvrir son grand savoir. Ce dernier «lui demandait de lui rédiger une ‘’Risala’’ sur les attitudes qu’un souverain musulman doit adopter à l’égard de ses sujets musulmans et comment il doit régner, sans être en contradiction avec l’Islam et ses purs enseignements». Cette consultation juridique qui est restée célèbre légitimait, au nom de l’Islam, le coup d’État du souverain de Gao.

L’émir de Kano, Mohamed Rumfa, en autant, écrivait Amar Hellal, et demanda à El Maghili de lui résumer par écrit «les devoirs d’un souverain musulman envers ses sujets et les conditions morales et matérielles exigées par l’Islam pour ce dernier». El Maghili lui répondit. Le texte intégral de la «Risala» est publié dans le livre de Adam El Allouriy, Résumé de l’histoire du Nigeria.

Dans l’Afrique profonde, «Imam el-mûslimine» — appelé ainsi par l’ensemble des fidèles qui croyaient en lui et qui le vénéraient — a laissé des traces indélébiles. Il a laissé des écrits qui insistent sur la nécessité pour les musulmans de se séparer des infidèles, des écrits qui constitueront l’une des principales autorités invoquées par les leaders des grands djihads ouest-africains du XlXe siècle.
Et c’est ainsi qu’après une longue période de voyages et d’efforts mise à profit pour enseigner l’Islam pur et prêcher le retour à la Sunna et au Coran, comme seuls moyens de rénovation et de progrès, sur tous les plans, l’Imam El Maghili était obligé de retourner dans son pays, dans le Touat, quand il a appris l’assassinat de son fils Abdel Djabbar par les Juifs. Mais avant de se fixer définitivement dans cette région qu’il a tant aimée, il devait accomplir le devoir de chaque musulman : le pèlerinage aux Lieux Saints de l’Islam.

En cours de route vers La Mecque, il rencontra l’érudit égyptien Jallal Ed-dine El Souyouti, avec lequel il avait eu, auparavant, d’importantes correspondances sur le «concept de la logique». Et après avoir accompli les rites du pèlerinage, il retourna au Touat pour continuer son œuvre : enseigner la bonne la parole et construire tout ce qui a été détruit par les Juifs en son absence. Il resta dans cette région jusqu’à sa mort en 909 de l’ère hégirienne, à Qsar Bouali, dans la commune de Zaouit Kounta. Il aurait donc vécu 119 ans, un âge réfuté par certains chercheurs et historiens qui prétendent qu’il n’a vécu que 80 ans.

Quoi qu’il en soit, l’Imam Ibn Abdelkrim El Maghili a laissé des traces indélébiles, non seulement dans la région du Touat et en Afrique occidentale, mais aussi dans le monde arabe et islamique — ses mérites et ses écrits en sont la preuve — et dont les générations peuvent être fières.

Les œuvres d’El Maghili
Ibn Meriem, le rédacteur du Bûstan, écrivait concernant El Maghili, en parlant des hommes de science et de foi qui ont vécu à Tlemcen :
«Cheikh Mohamed Ibn Abdelkrim El Maghili El Tilimçani, le summum des magistrats, l’imam distingué, le docte, le chercheur, le judicieux, l'exemple de la vertu, le prélat, le sunni, celui qui fut parmi les plus intelligents au monde et les savants qui possèdent de grandes capacités dans la science et le progrès, qui ont d’appréciables connaissances dans le domaine de la religion, le distingué et réputé pour son amour du Prophète que le salut soit sur Lui.

Également le discours d’Ibn Abdallah Mohamed Ibn Mesbah El Hassani dans Daouhet el nacher (L’arbre du propagateur), concernant El Maghili était aussi éloquent. C’est à peu près dans les mêmes termes qu’il devait le qualifier.

Ahmed Baba El Tomboucti a fait de même dans son panégyrique, glorifiant El Maghili à travers Kitab el ibtihaj (Le livre de l’allégresse) dans un style des grands chantres de l’Islam. Plusieurs autres ont écrit et reconnu sa valeur, sa fougue et sa force de caractère. Ils ont reconnu également sa grande pédagogie lorsqu’il orientait les gens vers le bien et leur interdisait de commettre des actes répréhensibles.
Ces bonnes appréciations et ce capital de sympathie témoignent, s’il en est besoin, de l’ardeur et du sérieux avec lesquels notre savant a mené sa vie, aux côtés de gens humbles ou de souverains, toujours imbu de cette foi inébranlable, comme ses pareils qui ont consacré leur vie à la «Daâwa» et à l’enseignement des principes de l’Islam.

Nous allons essayer de donner, dans ce qui suit, le maximum d’informations que nous avons pu recueillir concernant les œuvres de l’Imam El Maghili, en souhaitant ne pas avoir omis les plus importantes. Mais le lecteur comprendra que c’est peut-être encore peu de choses que nous connaissons de cet illustre fils de Tlemcen, comme l’écrivait si bien le journaliste B. Amazit, quand il couvrait le premier Festival culturel pour la connaissance de l’Histoire de la région d’Adrar, en mai 1985. Il notait :
«Il est certain que dans les bibliothèques de ces ksour millénaires qui font le dos rond au simoun des siècles pour se protéger du devenir, sa vie est consignée sur de quelconques pages, d’un quelconque grimoire, gardés jalousement comme un secret inviolable, que seules les maisons de toub ocre se murmurent quand se lève le vent de sable.»

El Maghili a écrit de nombreux ouvrages dans lesquels il a consigné la vie des sociétés musulmanes dans notre pays et en Afrique. Une trentaine, dit-on, quelques ouvrages sont connus du public, les autres, la plupart, restent méconnus car ils n’ont pas été publiés et, paraît-il, «sont conservés (pour ne pas dire moisissent) dans les bibliothèques privées et publiques dans certaines zaouias du nord du Nigeria et dans la wilaya d’Adrar».

Parmi ces ouvrages nous citons :
- Manhadj El Wahab Fi Rad El Fikr ila Assayab (Joie divine pour rendre l’esprit dans le droit chemin) qui est un essai sur la logique.
- El Badr El Mounir Fi Ouloum Al Tafsir (La lune éclairante dans les sciences du commentaire).
- Char’h Bouyou’ Al Ajal Min Kitab lbn Al Hajab (Explication sur les ventes par échéances tirée du livre d’Ibn Hajeb).
- Moukhtassar Talkhis El Mafatih (Précis d’une synthèse sur les clés).
- Tanbih El Ghafiline An Maqr El Moulabissine Bi Daiïwi Maqamat El Aârifïn (Eveil des égarés sur les stratagèmes dissimulés de prétendants savants).
- Kiteb Feth El Moubine (Livre sur la Vérité Révélée).
- Rissalat Misbah El Arwah Fi Oussoul Al Falah (Message de la lumière des âmes dans l’origine de la réussite), adressé aux savants du Maghreb.
Nous retenons également cet autre débat entre lui et l’érudit, le cadi du Touat, Abou Mohamed Abdallah Ibn Abou Bekr El As-nouni, avec lequel il différait d’opinion sur la question juive. Pour ce problème précisément, il est à noter que l’Histoire enregistre le soutien inconditionnel de plusieurs savants et hommes du culte à la «fetwa» — la consultation juridique ­— de l’imam El Maghili. Parmi eux, Abou El Mahdi Aïssa Ibn Ahmed El Mouassi El Fassi, le grand imam El Senoussi et Cheikh Abou Abdallah Jalil El Tounsi.

Il y a aussi cet autre ouvrage, non moins significatif car historique, qui prend la forme d’un mémorandum, appelé par Cheikh El Mekki El Hadj Ahmed El Idrissi : Misbah el arouah fi ousoul el falah (Le phare des âmes dans les sources de la délivrance) — cette traduction est personnelle, je ne sais si j’ai été fidèle au sens que lui donne l’auteur.

El Maghili a envoyé donc ce mémorandum aux savants de Fès qui l’ont lu, commenté et fait son éloge. Les propositions contenues dans le document et qui ont été agréées dans le fond et dans la forme ont laissé, au niveau de ces savants du Maghreb, en cette époque, un écho très favorable.

Cet ouvrage met en valeur toute la rigueur de l’imam El Maghili concernant les problèmes de la religion ainsi que son intelligence et sa perspicacité à travers l’étude et l’observation. Il commente les dépassements des Juifs du Touat et dénonce leurs transgressions de la loi islamique. Il explique qu’ils ont exagéré dans leurs provocations, de même qu’ils se sont rebellés contre les gouvernants, en retournant les gens puissants qui étaient à leur service.

El Maghili a écrit de nombreux poèmes glorifiant le Prophète Mohamed (QSSSL), dont un particulièrement d’une haute facture et qui rivalise, dit-on, avec la fameuse Borda d’El Boçaïri, comme il a écrit plusieurs ouvrages sur la jurisprudence islamique dont El badr el mounir fi ‘ilm et-tefsir, Tefsir el Fatiha (Le commentaire de l’ouverture) et d’autres encore pour expliquer la science de la tradition authentique.

Cependant, quand on apprend toutes ces bonnes choses sur un homme qui n’a pas démérité, une seule question nous vient à l’esprit : avons-nous fait de grands efforts depuis l’indépendance pour que nos enfants comprennent qu’un de leurs aïeuls a été plus célèbre, sinon plus vrai et plus consistant, que ces héros préfabriqués par lesquels on a voulu falsifier l’Histoire et faire dans l’apocryphe plutôt que dans le réel ?
Peu de travail a été entrepris dans ce sens pour faire connaître aux générations futures ce qu’a été ce grand savant réformiste et ce pèlerin infatigable, si ce n’est —et sans complaisance aucune — ce «Colloque international sur l’imam Mohamed Ibn Abdelkrim Al Maghili : gouvernance, unité et stabilité des sociétés africaines», qui a été tenu, à Alger, à l’initiative du président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune, et sous son haut patronage en ce mois de décembre 2022. Cette grande initiative d’envergure va s’ajouter – en les développant – à d’autres travaux dont cette biographie rédigée, il y a bien longtemps, au cours du XVIe siècle ap. J.-C. par l’historien Ahmed Baba Tomboucti et reprise intégralement par un autre historien Ibn Mériem, dans sa magnifique œuvre El Bûstan, à quelques études récentes dirigées par des professeurs algériens, notamment Abdelkader Zbaïdia et d’autres qui ont essayé de faire la lumière sur cette période jusque-là méconnue par les profanes que nous sommes, et à cette initiative, non moins positive d’ailleurs, qu’était le premier Festival culturel pour la connaissance de l’Histoire de la région d’Adrar, initiative qui risque d’être orpheline et ne pas avoir de suite. cela n’est pas suffisant, bien sûr, mais assez encourageant pour charger et stimuler ceux qui s’occupent de la culture d’entreprendre cette noble mission de reconstitution de l’Histoire d’un grand Homme (la majuscule lui sied convenablement).

Néanmoins, et malgré ce constat qui nous interpelle tous pour agir consciemment afin de préserver notre patrimoine culturel et historique, il demeure que nous pouvons, avec les beaux restes, c’est-à-dire les nombreux documents qui sont éparpillés à travers l’Afrique saharienne, reconstituer la grandeur et la magnificence de cet érudit qui s’était fait l’apôtre d’idées claires et lointaines, aussi lointaines que la terre dans laquelle il a vécu.

Les bribes d’informations qui restent nous apprennent donc qu’à sa mort, El Maghili a laissé parmi les trente œuvres qu’il avait rédigées beaucoup de sentences sur le droit musulman (fiqh), les décisions jurisprudentielles (fatawi), et quelques-unes sur la langue arabe, la politique et la poésie, indépendamment des œuvres composées qui ont été cataloguées. Il nous laisse également des documents sur ses fameuses relations épistolaires avec les hommes de foi, dans le monde arabe et maghrébin et les souverains de l'Afrique occidentale et qui concernaient l’exhortation de l’imam à prendre conscience des réformes ou des conseils sur la gestion des royaumes.

Ces documents, même éparpillés, nous montrent aisément, quand on les consulte avec beaucoup d’attention et de pondération, qu’El Maghili était parmi les grands et sémillants intellectuels de son époque. Il avait une forte personnalité, ce qui lui a permis d’avoir de l’incidence sur les populations du Soudan, ces régions de l’Afrique subsaharienne ou de ce vaste Empire de Songhaï et dans le Maghreb, où il était l’une des rares personnalités religieuses à avoir attiré l’attention sur la dérive des responsables et dénoncé leur paresse dans la prise en charge des affaires publiques. Il a donc averti les dirigeants des pays du Maghreb sur les dangers qu’ils pouvaient encourir s’ils s’obstinaient à continuer sur leur chemin. Mais le malheur a fait que l’inévitable se produise, à cette période, comme tout le monde le sait, par l’invasion des Espagnols et des Portugais dans nos pays, où nos chefs avaient perdu le sens de la mesure.

Épître d’El Maghili à Jalal Ed-dine El Souyouti
Parmi ses œuvres, nous retenons cette historique correspondance par laquelle il avait engagé un débat avec le savant égyptien Jalal Ed-dine El Souyouti sur le concept de la logique. Cette remarquable épître a été largement diffusée et commentée par les hommes de science.

La doctrine canonique de la «commanderie du Bien» où les positions doctrinales entre le savant algérien et égyptien ont fait l’objet d’une épître réciproque sur l’accès de la Vérité au sens ultime du Message a été l’occasion d’une controverse. La Révélation en tant que Guidance et Lumière, qui des deux dans l’esprit de la logique devait corriger les lacunes de l’exégèse traditionnelle en apportant à la religion l’indispensable supplément d’âme. Ainsi, l’idée de justifier la Révélation par la raison est qu’aucun progrès du savoir humain ne saurait contredire l’infaillibilité de la Parole coranique. Dieu s’adresse aux hommes dans un langage clair, pleinement adapté à l’évidence. L’exégèse coranique n’a d’autre finalité que de restituer aussi fidèlement que possible la tradition primitive au regard de la Révélation. Alors que l’exégèse mystique est dépouillée de toute étude grammaticale, elle est en quelque sorte une interprétation allégorique dont le consensus doctrinal rejette entièrement. Par contre, l’exégèse réformiste est foncièrement optimiste. Elle croit aux vertus de la parole et de l’éducation comme facteurs de changement :
«Dieu ne change l’état d’un peuple qu’à condition qu’il change lui-même.»

Le Dr Boudjemaâ Haïchour, chercheur universitaire, écrit :
«La science religieuse, s’appuyant sur la logique et la raison, est étroitement liée au tawhid ou science de l’unicité de Dieu. C’est pourquoi les méthodes de la spéculation philosophique sont critiquées par le fait qu’elles soient toutes relatives. La voie la plus intime est celle qui mène à la connaissance de Dieu et de la Vérité cachée. Elle est essentiellement intuitive, car recherchant l'illumination spirituelle par la pratique de la méditation, à la seule condition de ne pas s’enfoncer dans l’ésotérisme mystique.»

Pour revenir aux textes de l’épître d’El Maghili et de Souyouti, dont la traduction d’extraits, nous allons voir comment cette École des Moutakalimine (l’École scolastique musulmane du «Kalam») va pouvoir débattre de la méthode en matière d’exégèse.

Les sentiments d’humilité profonde devant la Grandeur de Dieu — tout croyant doit reconnaître ses péchés et ses erreurs — en sont la marque distinctive de l’attitude spirituelle des Moutakalimine. La thèse controversée entre les deux savants, l’Algérien et l’Egyptien, apparaît dans la reconnaissance de ce dernier à la supériorité de la méthode scientifique de son contemporain, par rapport à ce qui est juste et ce qui est absurde, eu égard à la philosophie et à la science de la logique développées chez les Grecs et qui ont divisé les savants musulmans.

J’ai appris d’une chose que je n’ai entendu de pareille
Et chaque propos dans son jugement se ramène à son origine
Est-il permis à l’homme d’apporter la preuve de sa science
Pour être le défenseur du Bien et du Mal dans certains de ses dires ?
Est-ce la logique concerné est l’expression d’une justice ou d’une vérité quand le droit est ignoré ?
Ne vois-tu pas que ces significations sont dans tous les langages et peux-tu en avoir une preuve autre que celle-ci ?
Accepte la Vérité même émanant d’impie et ne juge pas autrui par même doctrine que ce dernier...

Réponse de Souyouti :
Je remercie Dieu du Trône en Louanges de Sa Générosité,
J’offre une prière au Prophète et ses Compagnons,
J’ai été ébloui par ce poème dont je n’ai écouté de si identique,
D'une si belle poésie dont j'avoue sa noblesse :
Paix (Salut) à cet Imam et combien lui suis-je redevable et reconnaissant de sa vertu...

On peut dire de cette reconnaissance de Souyouti au savant El Maghili, que les sources de la connaissance sont au-delà des perceptions sensibles et des facultés raisonnables. Rien n’est antinomique entre science et religion. La certitude religieuse vient de la Lumière divine qu’il place dans le cœur de chaque croyant. C’est une question d’éthique dans l’œuvre d’El Maghili inspirée d’une haute moralité, cette œuvre d’un homme qui semble, par sa foi beaucoup plus vigoureuse, dans la puissance de la raison et de sa religiosité, dépasser son illustre correspondant. Sa philosophie subtile et savante du théologien revêt une forme plus élevée, plus raffinée et donc en harmonie avec la Foi et la Raison, entre la Révélation et la Science.

L’épître destinée à El Souyouti découle d’une thèse théologique d’un grand faqih et d’une élévation sereine de l’esprit. C’est pourquoi les docteurs de la Loi musulmane ont vu la nécessité de développer et d’interpréter le Livre Sacré dont chaque phrase, chaque mot ont fait l’objet d’étude et d’analyse, par l’argumentaire, le raisonnement et la logique.

Pour conclure cette modeste étude sur l’imam El Maghili, nous pouvons affirmer qu’il n’était pas seulement un homme de religion, mais aussi un homme politique et de culture. Il était un savant dont la renommée avait dépassé les frontières de notre pays. Aujourd’hui encore, si on parle de lui au Moyen-Orient et au Maghreb, on en parle beaucoup en Afrique occidentale et principalement au Nigeria, au Niger et au Mali. Ainsi, le fervent savant réformiste, «Imam el mûs-limine», après une longue existence, toute consacrée à Dieu et au repos d’autrui, après avoir vécu une vie bien remplie donc, en brillant par son intelligence, son habileté extraordinaire, sa parfaite éloquence, sa clarté dans la dialectique, sa réputation de sainteté largement répandue dans tous les pays où il a séjourné et enseigné, est allé rejoindre le Seigneur en 909 de l’ère hégirienne. Il est enterré dans ce Touat qu’il a tant aimé, dans cette région qui a connu tant d’hommes gonflés d’aventures et de savoir dans cette région où, lorsqu’on scrute le paysage, «notre œil assiste perplexe au mariage du ciel et de l’ardente hammada comme à une noce sidérale».

Avons-nous tout dit sur Mohamed Ibn Abdelkrim El Maghili ? Est-ce que quelque part nous ne l’avons pas traité comme il le faut et nous ne lui avons pas accordé tout l’intérêt qu’il mérite ?

Assurément, il reste beaucoup à dire sur cet éminent érudit pour que nos jeunes et les générations futures sachent que leurs ancêtres ont marqué l’Histoire, cette merveilleuse Histoire des Hommes ! K. B.

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