vendredi 9 septembre 2022

MOUMIA :: ÈLÌE RABAT’HA ZERADA (publié le 13 septembre 2009) mise à jour.

L’hommage à toutes les mères «Tu agréeras Dieu lorsque tu seras heureux des calamités qui s’abattent sur toi tout comme tu es heureux des bienfaits qui descendent jusqu’à toi, car tout vient de la part de Dieu.» "Rabi’ate al ‘addaouiya"
DIMANCHE 09 SEPTEMBRE 2001. Le ciel nous tombe sur la tête. Notre mère MOUMIA se meurt; MOUMIA est morte à 20 heures. En ce mois béni de Ramadhan 1430, je veux apporter mon témoignage à travers un vécu auprès d’une mère exceptionnelle que Dieu a rappelée à Lui, de l’importance et de l’éducation d’une mère et de la nécessité de lui donner toute l’attention, tant il est vrai que sans les mères, il n’y aurait pas d’identité propre bien ancrée dans l’histoire.
Je veux évoquer le cheminement exceptionnel de cette mère, de cette maman comme celui de toutes les mamans du monde qui, à bien des égards, constituent les ciments des sociétés. Une année auparavant, MOUMIA se plaignait de douleurs du a une mauvaise fracture du col du fémur et tout en souffrant souvent en silence, mon frère ABDELMALEK s’est du de l’amener en clinique !!! A Alger. La décision fut sans appel: L’appât du gain… il faut opéré: «Un coup d’éclair dans un ciel serein.» elle ne voulait pas effrayer !!! Opération immédiate, en vain; transfert dans des conditions épiques à Belcourt (domicile de son autre fils ABDERAHMANE).
L’affection d’une mère
Sa dernière inquiétude alors qu’elle était sur son lit bien souffrante fut de s’adresser à nous, en nous interrogeant du regard si nous étions en bonne santé. Nous la rassurâmes, elle ferma les yeux en signe de compréhension. A l’article de la mort, elle ne pensa pas à elle, elle pensait à mes soeurs. Je ne puis m’empêcher de me rappeler une histoire, parmi des milliers, qu’elle nous racontait avec son savoir-faire et qui permet mieux que mille discours de prendre la mesure de l’affection d’une mère. C’est une maman qui suit son fils, qui l’amène au plus profond de la forêt et qui l’abandonne. Vinrent à passer des cavaliers qui trouvent la maman en pleurs. «Qu’as-tu el hadja? Ne pleure pas, nous allons te reconduire chez toi, n’aie pas peur!» D’une façon admirable, la maman répond: «Je n’ai pas peur pour moi, mais j’ai peur pour mon fils, il fait nuit et les loups peuvent le manger !» Cette histoire parmi tant d’autres nous permet de mesurer, mais le peut-on réellement ? L’amour d’une mère qui a suivi aveuglément son fils qui voulait s’en débarrasser et qui n’a pas pensé un seul instant à sa propre sécurité mais à celle de son fils.
Ma mère ne mourut que quatorze jours après à 500 km de sa ville Batna qu’elle n’aurait jamais du quitté ! Elle mourut bien loin d’une assistance d’un corps médical froid en l’occurrence Mr X qui a perdu toute humanité et compassion. Ma sœur KHEDIJA me disait: «notre mère a des nuits agitées» elle lui récité des phrases rassurantes : «Labesse «n’aie pas peur, Dieu viendra à notre secours» contrairement a ma sœur ZAHIRA qui me paraissait insouciante.... Il paraît qu’elle eut pendant cette nuit-là un sommeil apaisé avant le grand sommeil...Qui est au juste MOUMIA? Mot affectueux que ces amies utilisé à la place de OUMENOUNE. En un mot comme en mille, MOUMIA est une Maman avec tout ce que cela comporte comme affection. Ma mère - solide paysanne du terroir - avec un bon sens mâtiné par des citations tirées du vécu d’un Islam simple, un Islam tolérant fait de crainte de Dieu, de traditions et de superstition. Il est vrai qu’à l’époque et au regard du désastre actuel, l’Algérie ne s’est pas dissoute durant la longue nuit coloniale culturelle ment et cultuellement, grâce à nos mères à qui on ne rendra jamais assez hommage. Leur relation simple à la vie dénuée de tout calcul mesquin était en définitive, un «art de vivre», qui leur permettait de rayonner et de goûter en toute simplicité, toute humilité, à la vie avec des repères identitaires et des approches sur le sens de la vie que ne renieraient pas les plus grands philosophes tant ils sont frappés du bon sens. Elle n’avait pas fait d’études, mais elle était plus érudite que nous. Une anecdote cependant, elle apprit, rien qu’en écoutant mon père apprendre à mon frère le français et la table de multiplication. Elle la faisait répéter plusieurs fois à mon frère SAID « allah yarahmou » pour lui éviter d’encourir le courroux de feu EL HADJ ALI.
Tout en étant pieuse, notre mère MOUMIA aimait la vie - une vie simple - qui ne fut pas facile pour elle. Imaginez le Bled, les Chaouias, les Aurès au plus fort de la Seconde Guerre mondiale avec le marché noir, la misère sans nom pour les indigènes et la chape de plomb d’une colonisation qui pensait durer mille ans après les massacres à grande échelle de mai 1945. Elle garda vaillamment le cap avec mon père et nous fûmes élevés et instruits en profitant de tous les interstices de tolérance permis par le pouvoir colonial.
Ma mère était une croyante tolérante qui ne voyait que le bien et pour ainsi dire jamais le mal. Une croyance simple consolidée par un Islam maghrébin de quatorze siècles à des années lumière du «m’as-tu-vu actuel» qui fait que la foi individuelle est plus vue dans le regard des autres que vécue personnellement. La foi s’étant refroidie en rites, nous, nous contemplons un pays qui a perdu ses repères et qui adapte ceux des autres.
Bien plus tard, j’ai découvert ainsi les personnages pour nous mythiques et non des moindres dont elle nous parlait, le soir au coin du feu. J’ai découvert Rabi’ate el ‘addaouya une mystique qu’elle prenait en exemple. Bien des années plus tard, j’ai su par la littérature, que Rabi’ate el ‘addaouya a fut l’un des premiers mystiques de l’Islam à avoir dépassé la démarche ascétique pour appeler à l’union parfaite avec Dieu et la célébrer dans des poèmes d’une brûlante ferveur et ceci bien avant Hallaj et les maîtres du soufisme. Elle nous parlait aussi de l’imam Cheikh TAHAR, illustre personnage. Je me souviens de quelques chansonnettes qu’elle nous récitait avec verve: «ZADA ENABIE WA FRAHNA BIH» Nous étions en extase devant ces récits qui ont fait la grandeur de l’Islam. Pendant ce temps à l’école, on nous apprenait que nos ancêtres étaient gaulois... et gare à celui qui l’oubliait.
Je me suis souvent interrogé comment ma mère, cette fille du plus profond du terroir, était arrivée à connaître le cheminement voire les sacerdoces des imams. Elle apprit le Coran en écoutant et en imitant les autres dans une atmosphère familiale imprégnée de la crainte de Dieu Avec sa «foi du charbonnier», elle nous disait souvent: «Zerada ta’rafe Rabbi oua Rabbi ya’rafe Zerada», «Zerada, connaît bien Dieu et Dieu connaît Zerada». Nous devinons vaguement que Zerada avait une foi chevillée au corps mais qui ne s’embarrassait pas de rituel!!!
On ne guérit pas de l’absence de sa mère. Mieux: quoi qu’on dise, on ne s’en remet pas. Huit ans après, notre mère nous manque cruellement. C’est comme une amputation, c’est comme une douleur lancinante qui se réveille à l’occasion de n’importe quel événement aussi anodin soit-il. Ma mère disait cela, faisait cela, traitait les choses comme cela. Plus d’une fois, les leçons de bon sens inculquées avec amour par nos mères nous servent de repères même dans des situations inextricables. Il serait vain de rapporter toutes les maximes de bon sens pétries d’humanisme et d’amour du prochain. Ce bréviaire d’une vie simple, elle nous l’avait inculqué.
Le coeur de la famille
Au-delà de l’hommage à toutes les MOUMIA du Monde, par ce témoignage je m’adresse en définitive, à toutes et tous qui n’ont jamais grandi quand il s’agit de parler de leur mère, ils sont toujours des enfants. Puissent-ils ne jamais oublier l’amour d’une mère dans leurs actes quotidiens et avoir de la compassion pour les mères; toutes les mères. Notre pays se grandirait en misant sur la formation des jeunes filles, futures épouses et mères. Chacun sait que la mère au coeur de la famille, est la mieux placée pour détecter les changements de comportement chez ses enfants et dire juste a ceux qui peuvent signaler des états de conflits intérieurs ou avec d’autres, ce qui leur donne une efficacité particulière de façon innée.
Il est de ce fait, de la plus haute importance pour notre pays que sa culture survive, se consolide et que ses traditions se perpétuent.
La place des mères est de ce fait prépondérante, car tout commence au berceau.

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